Le 02 juin 1966, Bamba Emmanuel, Mahamba Alexandre, Kimba Evariste et Anany Jérôme, sont pendus à la Grand’Place de Pont Cabu à Kinshasa (actuel Pont Kasa-Vubu). Ils étaient mis à mort en exécution d’un jugement rendu par un tribunal militaire d’exception créé par ordonnance n° 66-338 du 30 mai 1966 dont le siège était composé des officiers supérieurs Pierre Ingila, Ferdinand Malila et Honoré Nkulufa.
Le 2 juin 1966 sera la plus date sinistre du long règne de Mobutu et une journée d’effroi qui marquera les esprits des Congolais.
Une journée lugubre où la peur s’emparera du Congo, et s’y installera pour longtemps.
Avant l’aurore, une marée humaine commence à cheminer vers la grande place de Kinshasa. La journée est chômée, les rues sont désertes, les magasins sont fermés, aucune circulation. On estime la foule à quelque trois cent mille personnes. C’est le plus grand rassemblement de l’histoire du Congo.
Des camions bondés de soldats attendent. Une fanfare joue des marches militaires.
Vêtu de noir, encapuchonné de noir, le bourreau a gravi le premier l'escalier menant à la plateforme de la potence. Il dominait la scène de toute sa stature.
Le visage et les bras tuméfiés, les cheveux gris de poussière, les quatre accusés ont comparu, enchaînés sur le perron du mess des officiers du camp.
"Des officiers supérieurs nous appelaient. Il nous a semblé que nous ne pouvions pas refuser de répondre à leur appel ", a déclaré M. Alexandre Mahamba. "Ce sont les militaires, a-t-il ajouté, qui ont organisé les réunions auxquelles ils nous ont invités à assister. Ils nous ont dit et répété qu'ils s'occupaient du côté militaire de l'action et qu'ils nous demandaient seulement de former un gouvernement provisoire, composé de civils".
D'une voix forte, M. Mahamba a conclu son exposé en demandant son acquittement et celui de ses compagnons.
L'audition de M. Evariste Kimba fut à peu près inaudible pour le public et les journalistes, pressés par la foule et bousculés à l'occasion par les militaires. M. Kimba a demandé à être confronté avec les officiers qui ont dénoncé le complot. "J'affirme sur l'honneur, a-t-il dit, qu'il n'a jamais été question d'un complot visant à l'élimination physique d'une personne au pouvoir".
Pas de plaidoiries ni de réquisitoires
Le procès n'a comporté ni plaidoiries ni réquisitoires. Les quatre accusés ont présenté leur défense, bien souvent au milieu des hurlements d'une foule particulièrement hostile.
Aussitôt après, les trois juges militaires se retiraient pour délibérer. Ils revenaient cinq minutes plus tard porteurs du verdict : les quatre accusés étaient condamnés à mort pour tentative de coup d'Etat.
Immédiatement ensuite, un homme de grande taille, la tête entièrement couverte d'une cagoule noire et ne portant pour tout vêtement qu'un short bleu à bandes rouges et blanches, gravissait à son tour l'échelle, mains liées derrière le dos. Quelques exclamations fusèrent de la foule : "C'est Kimba! ".
Evariste Kimba, le dernier chef du gouvernement civil que le Congo ait connu, se tenait très droit. Il écouta la sentence lue par le bourreau. Il s'était auparavant confessé à l'un des trois prêtres, vêtus de blanc, assemblés au bas de la potence, à côté de quatre cercueils blancs, dont l'un était ouvert d'avance. La lecture de la sentence et les préparatifs durèrent cinq ou six minutes.
Une nouvelle attente commença alors : il fallait que l'agonie se termine. La seule personnalité de premier plan présente au supplice était le général Louis Bobozo, commandant en chef de l'armée nationale congolaise. Les trois derniers condamnés : Alexandre Mahamba, Emmanuel Bamba et Jérôme Anany, avaient assisté à bord d'une jeep au supplice de M. Kimba, en attendant leur tour. Un énorme mouvement de panique, qui a fait des blessés et des morts, a marqué la dernière phase de la quadruple exécution. Alors que l'on venait de détacher le corps du troisième supplicié (Jérôme Anany) et que le bourreau passait la corde au cou du quatrième (Alexandre Mahamba), la foule rompit brutalement le barrage établi à 50 mètres du lieu du supplice par les para-commandos et se précipita avec furie vers la potence. Ce brusque mouvement défoule provoqua une violente panique parmi les personnes qui se trouvaient de l'autre côté de la potence et qui s'efforcèrent brusquement de prendre la fuite. Dans le sauve-qui-peut général, des hommes, des femmes, des enfants, tombaient, étaient piétinés, restaient étendus, hurlant de souffrance et de terreur.
L'incident ne dura pas plus de cinq minutes, mais cela suffit à vider la place d'au moins cinquante mille personnes.
Une véritable psychose s'était emparée de la ville.
Le drame qui s’annonce s’est noué trois jours plus tôt.
Les suppliciés étaient quatre personnalités politique, M. Emmanuel Bamba, ancien compagnon de lutte de Simon Kimbangu. Prisonnier comme lui à Elisabethville, ministre des Finances et de la Fonction Publique sous la première République, Sénateur. M Evariste Kimba, ex-ministre des Affaires Etrangères du Gouvernement sécessionniste du Katanga, ancien Premier Ministre désigné sous la Première République.
- Alexandre Mahamba , ancien ministre des Affaires foncières dans le Gouvernement Lumumba et Adoula.
- Jérôme Anany, ancien ministre de la Défense Nationale dans le Gouvernement Adouala.
Les demandes faites par le Pape Paul VI, le président américain Lindon Johnson, le roi Baudouin de Belgique, la reine Elisabeth d’Angleterre et Amnesty International sollicitant la grâce présidentielle en faveur des condamnés, au moins de commuer la peine de mort en emprisonnement à vie, n’eurent aucun effet.
Les quatre conjurés seront pendus jeudi matin à 9 heures.
Jean-Claude Mombong